Le rêve, matière première de l’Histoire

, par  Michel Sautel , popularité : 24%

Dans le débat nécessaire sur nos difficultés, la réalité des rapports de forces et des divisions de notre peuple, il ne faut pas oublier que la vérité a besoin aussi de l’utopie, du rêve, nous dit michel, pour trouver l’énergie de l’action...
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« Donnez-moi un point d’appui et je soulèverai la terre » !

Archimède

« Quand une idée s’empare des masses, elle devient force matérielle »

Karl Marx

Comment les communistes, les citoyens pourraient-ils ne pas s’effrayer de ce mur d’un réalisme frelaté au nom d’un seul idéal : acquérir sans fin, s’approprier jusqu’à le perte de raison, face au désastre collectif qui s’étend chaque jour un peu davantage ?

On a trop souvent voulu faire du rêve une faiblesse, un luxe réservé aux poètes et aux fous. Mais pour celui qui lutte, le rêve est une arme indispensable.

Il n’est pas l’échappatoire du réel : il est la conscience même de ce qui manque au réel, et la promesse d’un monde meilleur.

« la liberté n’est pas une utopie, car elle est une aspiration fondamentale » Gramsci. Sans cette aspiration, sans ce feu qui brûle avant même que la victoire soit possible, l’histoire ne serait qu’un champ de ruines froides.

Comment ne pas comprendre lorsque ailleurs, il insiste : le rêve, c’est ce « pessimisme de l’intellect, optimisme de la volonté » lucidité devant les chaînes, mais confiance dans la main qui les brisera. Car nul progrès n’a surgi de la résignation.

Déjà Platon dénonçait les pragmatiques stériles qui méprisent le rêve : « Que dire de quelqu’un qui croit aux belles choses mais ne croit pas à la beauté elle-même ? » Croire aux faits sans croire à l’idéal, c’est vivre amputé. L’homme qui ne rêve pas finit par accepter le monde tel qu’il est, sans voir ce qu’il pourrait être.

Hegel va jusqu’à attribuer un sens vital à l’espoir : « rien de grand ne s’est accompli dans le monde sans passion ». La passion, c’est le rêve incarné : la pensée devenue mouvement. Sans elle, la raison devient mécanique, et la science, stérile.

Et ce sont bien les « ailes d’Éluard » qui nous portent « au grand, au sublime » d’Aragon : « Vous marchez sans but sans savoir que les hommes ont besoin d’être unis, d’espérer, de lutter pour expliquer le monde et pour le transformer. »

Le rêve est collectif, ou il n’est rien !

Le rêve est la première révolte de l’esprit contre la misère du réel. L’utopie en est la forme consciente : elle trace les contours d’un monde où le travail libère au lieu d’asservir. L’espérance n’est pas attente passive, mais mouvement — celui des peuples qui transforment le rêve en histoire, et l’utopie en réalité.

Le rêve se dresse contre l’égoïsme et la passivité, comme une clameur : un appel à « l’œuvre d’hommes librement associés », selon Marx, agissant « consciemment et maîtres de leur propre mouvement social ».

Notre époque d’effondrement économique, social, culturel, éthique doit nous inviter à sortir du pragmatisme permanent, du « réaliste enfermant », de cette stérilité de l’espérance, de l’implicite idéologique fataliste.

D’autres avant « ont vécu ce sentiment » d’un recul de l’histoire.

Pourtant pas plus que les fleuves ne reculent, les idées ne disparaissent. Elles s’effacent… un temps… derrière la violence d’un temps de consommation illusoire jusqu’à la négation de la vie même

Hugo au cœur de la nuit bonapartiste nous invitait avec la clarté d’un prophète à forger l’espoir : « Rien n’est tel que le rêve pour engendrer l’avenir. » Car le rêve n’est pas simple projection : il est semence.

Lénine s’engouffra dans cette voie lumineuse : « Oui, des rêves, jeune homme ! Car sans rêves, l’homme devient une brute. Les rêves mènent au progrès ! Et le plus grand de tous les rêves, c’est le socialisme ! »

Ainsi porté le rêve n’est pas l’ennemi de la raison, mais sa respiration. Gide le pressentait : « Je n’aime le rêve que tant que je le crois réalité. » L’idéal marxiste ne se satisfait pas d’ombres ou de mythes ; il veut que le rêve devienne forme, que l’utopie prenne corps dans la matière sociale.

Innombrables les poètes nous invitent à prendre conscience de cette dimension vitale pour espérer, pour sortir de l’enfermement

Aragon, d’abord, bien sûr « toujours un rêve qui veille ». Et ce rêve, c’est celui du jour « couleur d’orange », du jour où « les gens s’aimeront », où les épaules nues ne craindront plus les chaînes. Ce jour-là, le rêve ne sera plus refuge : il sera règle du monde.

Antonio Machado ensuite qui voyait dans le rêve la lumière même de la conscience : « L’âme qui ne rêve pas, l’ennemi miroir, projette notre image avec un profil grotesque. »

Sans le rêve, nous perdons visage humain. Car rêver, c’est refuser le cynisme, c’est se savoir capable de « faire résonner la musique oubliée » de la fraternité et du sens.

Ou Neruda qui alertait : « Un enfant qui ne joue pas n’est pas un enfant, mais un homme qui ne joue pas a perdu à jamais l’enfant qui vivait en lui. »

L’homme socialiste, c’est celui qui retrouve cet enfant, cette innocence du possible. Car « personne n’arrête le fleuve de l’aurore ».

Ce fleuve, c’est la conscience en marche, l’humanité qui se découvre capable de créer. C’est ce que voulait Roger Martin du Gard : « revêtir ses créations d’une vie intense », faire du rêve une réalité plus vivante que la vie même.

Et Lorca, enfin, nous avertit : « Seul le mystère nous fait vivre. Seul le mystère. » Car l’Homme sans mystère est déjà mort. « Les iguanes vivants viendront mordre les Hommes qui ne rêvent pas… » — les dévoreront, comme la machine dévore ceux qui cessent d’espérer.

Alors oui, le rêve est indispensable. Non pas comme fuite, mais comme force. Non pas comme mensonge, mais comme vérité anticipée. Le rêve, c’est le réel en gestation ; c’est la liberté qui se souvient d’elle-même avant même d’exister.

Et tant qu’il y aura des êtres humains pour rêver, il y aura des êtres humains pour se lever ! Mais, espérer voir les Hommes se lever et construire, sans rêve à substituer au consumérisme total, inégal et global, est une supercherie qui cache mal un fatalisme et un renoncement sans distance.

Dans le PCF, le pragmatisme nécessaire des élus dans leur rôle, submerge l’utopie indispensable à l’action révolutionnaire et interdit l’agriculture d’une espérance, d’un irrationnel de l’instant pour se rassembler malgré tout ! L’énergie collective source dans l’utopie non pas dans la seule réforme du concret.

« La souffrance enfante les songes
Comme une ruche ses abeilles
L’homme crie où son fer le ronge
Et sa plaie engendre un soleil
Plus beau que les anciens mensonges »
Jean Ferrat
Le Rève - Dream Picasso Skimmato
à partir de l’oeuvre « Le rêve » de Picasso
SKIM Francesco Forconi
2021 • Italie • Acrylique, Tempera sur Toile 100 x 100 cm

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