L’inquiétude des communistes devant les difficultés de mobilisation
Cela dit, les réunions de communistes de ce début d’année sont marquées par l’inquiétude devant la situation sociale et politique et la faiblesse des réactions populaires. Jamais il n’y a eu un tel écart entre la colère contre Macron et ceux qui gouvernent et la faiblesse du niveau de mobilisation, de manifestation, d’organisation du mouvement social. Que ce soit sur le scandale des familles à la rue, du mal logement en général, les restructurations industrielles avec une accélération de la désindustrialisation, et surtout le fonds général de baisse du pouvoir d’achat et les difficultés massives des milieux populaires pour le logement, l’alimentation, la santé. Un ami me disait il y a peu : quand je suis devenu chauffeur TCL, je gagnais 1800€ et le paquet de pâtes était à 0,35€. Quinze ans plus tard, je gagne 1900€ et le paquet de pâtes est à 1€. Et pourtant, cette situation ne conduit pas à une explosion sociale.
Le premier obstacle est sans doute la guerre et le sentiment que la société française se délite et que l’occident est désormais en « économie de guerre ». Les communistes n’ont pas réussi à montrer le lien entre guerre contre le pouvoir d’achat et financement des guerres de l’OTAN. Une communication nationale cherchant à ne pas brusquer le consensus médiatique sur l’Ukraine, l’OTAN, la Chine, la Palestine, a freiné l’action militante et n’a pas permis de construire le lien entre colère sociale et revendication de la paix.
La conférence nationale de décembre n’était pas un congrès, mais elle a permis partout des débats riches et a acté une position internationale claire contre les guerres de l’OTAN, tout en engageant le travail discuté au dernier congrès sur notre projet de société, et son appellation, avec le débat sur le socialisme à la française repris par Fabien Roussel.
La deuxième raison historique est bien sûr la trahison de la gauche gouvernementale qui a conduit aux succès politiques de l’extrême-droite. La gauche mobilise moins d’un électeur inscrit sur 5 [1], deux fois moins qu’en 1981, et le mouvement social dans ses plus grandes journées d’action, ne mobilise que moins d’un actif sur dix, aucune chance de pouvoir remporter des victoires sociales dans un tel rapport de forces face à un capitalisme en crise structurelle qui n’a plus aucune marge de manœuvre. La colère existe, mais elle ne sait pas comment s’exprimer, et surtout qui peut l’organiser en lien entre le lieu de vie et de travail et la société politique, médiatique. Ceux qui avaient cru qu’il suffisait d’un leader national et d’une bataille présidentielle pour combler cet écart entre colère et mobilisation ne peuvent que constater que d’élection en élection, la faiblesse de la gauche, unie comme désunie, ne fait que s’aggraver.
Cela dit, ce qui domine les discussions des communistes, ce sont d’abord nos propres difficultés, nos insuffisances, la difficulté de faire grandir de nouvelles générations de responsables, et d’engager un vrai effort d’organisation de terrain. Comment sortir des débats en boucle réagissant à l’actualité, et notamment des seuls échanges dans les réseaux sociaux ?
Laurent a montré avec raison l’importance de tout ce qu’a fait le réseau Faire Vivre et Renforcer le PCF en 2024, avec de nombreuses contributions qui ont marqué, notamment pour la conférence nationale, plus de 1000 visiteurs par jour sur ce site, près de 200 articles dans l’année, dont la moitié d’auteurs du réseau, qui a aidé beaucoup de militants à critiquer le narratif atlantiste dominant trop souvent repris à gauche, qui a aidé aussi à comprendre la crise politique de la gauche derrière les discours médiatiques du NFP. Mais c’est surtout l’arrivée de Liberté Actus qui a marqué cette année, le journal en ligne initié par la fédération du Pas De Calais, un média accessible, d’actualité, avec des articles courts qui supplée en partie à l’absence nationale d’un journal communiste que devrait être l’Humanité.
Les difficultés plus générales du mouvement social
Nos difficultés sont cependant bien réelles. mais il faut tenir compte qu’elles ne sont pas simplement les nôtres, mais celles plus générales du mouvement social, de la gauche, du mouvement politique et syndical. Une anecdote pour l’illustrer. On a en ce moment à Vénissieux des écoles occupées par des enseignants pour l’accueil d’enfants dont les familles sont sans toit. Il y a 69 situations de 22 familles et actuellement 2 écoles plus ou moins occupées.
J’ai reçu les collectifs en décembre. Et il y a quelques jours, nous sommes allés avec d’autres élus communistes rencontrer une école occupée. Les familles s’installaient et les enseignantes présentes organisaient très sérieusement l’installation, portant attention à la sécurité des accès.
Mais ce qui est frappant, c’est que les enseignants mobilisés interpellent la ville sur comment on peut faire pour, mettre les enfants à l’abri. Mais quand on leur rappelle que c’est une compétence de l’État, et pour les femmes isolées avec bébés, de la métropole dans le cadre de la protection de l’enfance, tout se bloque. L’idée de prolonger leur inquiétude, leur colère, en une mobilisation pour exiger des moyens, des places d’hébergement, le financement d’une association organisant le séjour... Elles sont toutes en recul. On leur propose de mettre à disposition des cars pour faire le tour des écoles et aller ensemble devant la préfecture exiger qu’une délégation soit reçue, mais ça leur semble trop difficile. En fait, tout le monde sait bien que l’État actuellement bloque les régularisations, n’ouvre plus aucune place d’accueil (alors qu’il en avait ouvert près de 1000 par an de 2020 à 2023...). Et elles intègrent un défaitisme qui peut se comprendre mais qui est en quelque sorte, autoréalisateur. Comme on n’y croit pas, on ne le fait pas, donc on ne fait pas bouger le rapport de forces...
Aller interpeller l’État, c’est faire un acte politique, et tout le monde comprend que ça demande du contenu, sur quelles bases on porte les revendications ? etc... Et les enseignants avec qui j’ai discuté sont complètement à secs sur ces sujets, et de fait, comme ils n’ont rien à dire, ils ne veulent pas se mettre devant.
Sans compter que la faiblesse de l’organisation syndicale produit aussi des contradictions, tout le monde n’a pas le même avis dans l’école, certains ne veulent pas s’impliquer, ou alors, certains ouvrent la porte pour que les familles s’installent, puis rentrent chez eux, laissant les familles seules avec les difficultés techniques et les risques...
Personnellement, je ne critique pas les enseignants mobilisés, ce serait un comble, ils essaient de prendre leur responsabilité sérieusement, et assument honnêtement ne pas voir comment aller plus loin dans les mobilisations. Elles sont en difficulté parce qu’elles ont des enfants dans la classe dont elles savent qu’ils repartent le soir vers un squat ou une voiture et elles font ce qu’elles peuvent au niveau local, mais franchement, c’est un niveau très bas de l’engagement, de l’analyse, de la compréhension. En tant que mouvement social et politique, c’est même très très bas.
Quand nous, communistes, avons des difficultés et des insuffisances, il faut se rendre compte qu’on a quand même des réflexes, des capacités à agir, à organiser. On porte encore une histoire, une capacité d’organisation, d’action qui est bien plus forte que la plupart des gens.
Mais les crises font bouger les lignes !
Cela dit, dans ce contexte de difficultés, la crise fait bouger les lignes, elle pousse au défaitisme, mais elle peut aussi pousser à la prise de conscience parce qu’on ne peut pas continuer à raconter tout et n’importe quoi. Et de ce point de vue, les réseaux sociaux montrent aussi leurs limites, un jeu de mot facile, « ça tourne en boucle ». Mais tout s’accélère et personne ne pouvait imaginer il y a 10 ans que les États-Unis allaient remettre en cause en 2025 des frontières de leurs alliés. On savait que les États-Unis pouvaient taper sur la Chine, mais venir taper l’Europe en direct, le Danemark, menacer de prendre le Groenland, le canal de Panama, le Canada, c’est complètement fou.
Et de la même manière, l’extrême droite, c’était les autres, les méchants, Orban et compagnie, Bolsonaro. Mais là, c’est Musk qui va soutenir la campagne de l’extrême droite en Allemagne. Et tous les GAFAM se mettent en rang pour accompagner la fascisation de l’impérialisme, pour dire les choses directement.
Et forcément, ça bouscule les consciences politiques et il devient impossible à nos gouvernants de continuer leur narratif « nous sommes les gentils et nos ennemis sont les méchants ».
L’autre aspect positif de ce qui bouge, c’est l’accélération de la révolution scientifique et technique. Il faut que je le dise un jour à Amar, dans un contexte favorable. Je crois qu’aujourd’hui on ne connaît pas la moitié des techniques qui feront le quotidien de 2050.
Je vous raconte là aussi une anecdote. Dans une de mes fonctions d’élu, je prépare un évènement autour des usages de l’intelligence artificielle dans l’informatique publique. J’ai pas mal travaillé sur les outils, et je vous conseille de le faire... J’ai découvert qu’une jeune apprentie en charge de communication dans un syndicat intercommunal utilise quotidiennement chat GPT pour organiser ses activités et par exemple, décider ce qu’elle va faire à manger le soir en fonction de ce qu’il y a dans son frigo. Les usages quotidiens de cette génération vont se transformer à grande vitesse. C’est un peu comme les smartphones des ados des années 90, financés par les abonnements fixes des grands-parents et qui ont accompagné l’explosion des opérateurs publics. Nous ne savons pas grande chose encore des conséquences de l’IA au plan économique et social. Mais l’accélération des techniques concernent tous les domaines, l’énergie, la fabrication additive, l’informatique quantique...
Quelle priorité pour les communistes face à leurs difficultés et dans ce contexte de révolutions de toutes sortes ?
Dans ce contexte, je pense qu’il faut se méfier de ne pas se perdre dans un « effort pour comprendre le monde » qui ne serait pas guidé d’abord par « un effort pour le transformer ». On a envie de comprendre, on écoute, on lit tous plein de choses, utiles, mais est-ce que ça peut nous suffire ? Il est vrai que sur beaucoup de sujets, on est mieux armé idéologiquement en 2025 qu’en 1990 au début de la mutation du PCF. Le travail de Danielle Bleitrach et de son blog est un élément clé pour ouvrir les consciences.
Je ne sais pas si cette analogie est bonne, mais elle m’est venue en tête : en 1940, la première préoccupation des communistes, était-ce d’avoir une bonne compréhension du monde, ou plutôt de savoir comment organiser la clandestinité ?
Le concret de l’organisation c’est quand même déterminant. Ce que je retiens de la décennie passée, c’est que si on ne reconstruit pas le parti, c’est à dire des cellules, on ne construit pas des militants acteurs et décideurs de la bataille politique, on les maintient dans des clubs de discussion où ce sont toujours les plus experts qu’on écoute, mais où personne ne s’organise vraiment pour agir avec des collègues, amis, voisins avec lequel ils essaient de prendre des initiatives. C’est le fondamental de la cellule. Et ça nous interroge sur le fonctionnement des commissions, des réseaux d’experts.
Bien sûr, on a besoin d’analyse concrète des situations concrètes, donc d’un travail théorique, politique pour produire un point de vue communiste qui se démarque du discours général de gauche. Le plan climat par exemple, est un bon outil en cours d’amélioration, mais s’il ne devient pas un outil pour des mobilisations concrètes dans des entreprises, des villes, des villages autour de revendications qui conduisent à affirmer le rôle organisé des communistes, alors il reste sur une étagère en quelque sorte.
En conclusion, dans l’accélération actuelle des relations nord nord et nord sud, la situation de la France et de l’Algérie mérite qu’on prenne une initiative. Si Fabien pouvait apparaître comme celui qui remet en cause le néocolonialisme français dans la relation avec l’Algérie, ce serait parfait ! Une bonne manière de le faire serait de rencontrer des dirigeants algériens, comme d’ailleurs des forces politiques progressistes, pour parler du gaz, des migrants, des échanges économiques, de la réindustrialisation de la France.
De même, notre ambition pour la paix, ça ne peut pas être un nouveau colloque ou une nouvelle rencontre, nous avons besoin d’une grande manifestation nationale pour la paix qui vise 100.000 personnes à Paris, comme en 1982 !
En conclusion, mettre le braquet sur l’action organisée des communistes avec leurs cellules !
Nous devons tout faire pour permettre à des militants de prendre des responsabilités organisationnelles locales, dans un réseau d’entreprises, un quartier, dans des cellules pour mener des actions qui seront comme elles sont quelque part, mais qui, si elles agissent et que la discussion des communistes se fait à partir de leur pratique, permettront de faire progresser individuellement et collectivement, et donc de devenir un cadre dans lequel des jeunes, des nouveaux adhérents peuvent trouver une utilité différente de ce qu’il trouve dans les réseaux sociaux. Il y a plein de chaînes youtube passionnantes et utiles d’analyse et de débats politiques, mais finalement les clubs de discussion, ça n’a jamais fait un parti.
Affirmons le clairement, affichons-le et invitons tous ceux qui militent à leur manière dans les réseaux sociaux à nous rejoindre pour organiser l’action collective sur le terrain.