Mémoire trafiquée de la Seconde Guerre mondiale : quand l’Histoire devient une arme de guerre Par Xenia Fedorova

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Tribune du JDD. À l’aube du 80e anniversaire de la victoire sur l’Allemagne nazie, la journaliste Xenia Fedorova analyse les manipulations de l’Histoire orchestrées par certaines puissances pour servir leurs intérêts actuels.

Winston Churchill, Harry Truman et Joseph Staline à la conférence de Potsdam, organisée par trois des puissances alliées victorieuses de la Seconde Guerre mondiale en 1945. /SIPA / © MARY EVAN

Alors que le monde s’apprête à commémorer le 80e anniversaire de la victoire sur l’Allemagne nazie, une question brûlante s’impose : assiste-t-on à une réécriture de l’Histoire, orchestrée pour répondre aux besoins politiques du présent ? Selon Donald Trump, les États-Unis auraient contribué davantage que n’importe quel autre pays à la victoire lors de la Seconde Guerre mondiale. Il a également affirmé qu’aucune autre nation ne s’approchait des États-Unis en termes de force, de bravoure ou de génie militaire. Ce type de discours, relayé avec assurance, occulte totalement le rôle central de l’Union soviétique dans la défaite du nazisme.

Plus de 27 millions de citoyens soviétiques ont perdu la vie au cours du conflit – un bilan humain sans équivalent dans l’histoire de la guerre moderne. L’Armée rouge a brisé l’élan de la Wehrmacht sur le front de l’Est, libéré des centaines de villes européennes, et atteint Berlin en mai 1945. L’affirmation selon laquelle les États-Unis auraient contribué davantage que les autres pays est historiquement contestable et s’inscrit dans une démarche délibérée d’effacement du rôle central joué par l’URSS dans la défaite du nazisme.

Une transformation intéressée de l’Histoire

Cette relecture ne s’arrête pas aux discours. Elle se traduit aussi par des actes symboliques lourds de sens. Aujourd’hui, alors que Moscou organise les célébrations du 9 mai, jour de la Victoire, certains dirigeants européens sont ouvertement dissuadés d’y assister. La Serbie, pays candidat à l’UE depuis 2012, fait l’objet de fortes pressions en raison de ses liens historiques avec la Russie et de son refus d’imposer des sanctions à Moscou. Bruxelles a explicitement lié la participation de la Serbie au défilé de Moscou à ses aspirations européennes. La Hongrie, elle aussi critiquée pour ses positions indépendantes vis-à-vis de la Russie, subit des menaces voilées pour ne pas « rompre l’unité européenne ».

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a suscité la controverse en déclarant qu’il ne pouvait garantir la sécurité des dirigeants étrangers assistant aux célébrations du 9 mai à Moscou, commémorant la victoire soviétique sur l’Allemagne nazie. Ces commentaires ont été interprétés par certains comme une tentative d’intimidation visant les dirigeants de plusieurs pays, parmi lesquels figurent la Chine, le Brésil, la Slovaquie, l’Arménie, ainsi que d’autres États représentés.

Quand les dirigeants européens refusent de se rendre à Moscou pour la commémoration de la victoire sur le nazisme, ou qu’on empêche la Russie de participer à l’anniversaire de la libération d’Auschwitz – camp pourtant libéré par l’Armée rouge – on ne parle plus d’histoire, mais de stratégie politique. La mémoire devient une arme, et l’Histoire, un champ de bataille.

L’effacement du rôle soviétique dans la Seconde Guerre mondiale

Et que dire de la France ? Le pays du général de Gaulle, celui de la Résistance, de Jean Moulin, semble aujourd’hui s’éloigner de la reconnaissance de l’importance capitale de l’URSS dans la défaite du nazisme. Pourtant, de Gaulle a maintenu des relations diplomatiques avec Moscou même au plus fort de la Guerre froide. La Résistance française, dans son combat contre l’occupant nazi, a souvent agi en coordination avec les forces soviétiques.

Comment oublier également l’escadrille Normandie-Niémen, composée de pilotes français envoyés par de Gaulle pour combattre aux côtés de l’Armée rouge sur le front de l’Est — l’un des plus grands symboles de la coopération militaire entre la France libre et l’Union soviétique. Ce passé commun est aujourd’hui passé sous silence, effacé au nom d’un nouvel ordre moral où l’Histoire ne sert plus à éclairer le présent, mais à le justifier.

L’effacement du rôle soviétique dans la Seconde Guerre mondiale est devenu un symptôme de quelque chose de plus profond : une russophobie institutionnalisée, alimentée par le conflit en Ukraine et relayée sans nuance par les médias et les dirigeants politiques européens. La France, pourtant fière de son indépendance historique, adopte désormais une posture atlantiste rigide, quitte à aller à l’encontre de ses propres intérêts économiques, diplomatiques et sociaux.

Réécrire l’Histoire n’est jamais anodin. C’est une façon de contrôler le présent et d’orienter l’avenir. En niant la vérité des archives, en effaçant les sacrifices de millions de Soviétiques, en diabolisant toute relation avec Moscou, l’Europe se tire une balle dans le pied. Elle se coupe de ses propres racines, de ses véritables alliés historiques, et perd en crédibilité auprès des peuples qui, eux, n’ont pas oublié.

Xenia Fedorova, le 5 mai 2025
Tiré du JDD, Le Journal du Dimanche

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