Donbass, la brèche est faite

, par  Herve Poly , popularité : 0%

Depuis la chute de Marioupol en mai 2022, la guerre dans l’Est de l’Ukraine s’inscrit dans le temps long, marqué par une stratégie d’attrition systématique. L’armée russe démantèle un à un les verrous défensifs ukrainiens, au rythme d’une avancée irrégulière, mais méthodique.

La chute récente de Tchassiv Iar ouvre une nouvelle séquence : celle d’une rupture opérative possible, dans un contexte d’usure extrême des lignes de défense.

Forteresses tombées, ligne effondrée

Depuis la chute de Marioupol en mai 2022, la guerre dans le Donbass ne se résume plus à des prises de villages ou de tranchées : elle redessine l’équilibre militaire à l’échelle de l’Ukraine orientale. Cinq villes-forteresses – Marioupol, Severodonetsk, Bakhmout, Soledar et Avdiivka – ont été prises une à une, au prix d’un feu roulant d’artillerie et d’une usure de positions parfois centimétrique. À chaque fois, le schéma s’est répété : encerclement, privation logistique, ruée finale.

La chute de Tchassiv Iar, point haut et verrou de l’axe ouest du Donbass, annonce un possible effondrement du dispositif ukrainien dans la région. La pression s’intensifie sur Pokrovsk, où les Russes pénètrent en périphérie, tandis que Kostiantynivka semble à portée d’une manœuvre en pince [1]. Kramatorsk, dernier grand nœud logistique ukrainien dans le Donbass, apparaît désormais comme l’objectif final de cette phase.

Une guerre d’attrition dans un temps non linéaire

La stratégie russe s’inscrit dans le temps long de la guerre, mais un temps non linéaire : il s’agit de tirer sur les coutures du front, d’épuiser les défenses, de forcer les Ukrainiens à étirer leurs lignes jusqu’à ce que des failles critiques apparaissent. Alors surgissent des ruptures soudaines, brutales, irréversibles [2].

Ce processus repose sur deux piliers : une puissance de feu constante, qui désorganise les arrières, et une mobilité tactique, qui empêche l’armée ukrainienne de stabiliser ses défenses. L’objectif n’est pas de conquérir vite, mais de démilitariser progressivement, jusqu’à ce que le tissu défensif de l’adversaire se déchire.

Nous sommes ici dans une guerre industrielle, qui ne peut être soutenue que par une base productive massive, constante et résiliente. La Russie dispose aujourd’hui de cette capacité, que l’Occident, désindustrialisé, peine à retrouver. Le temps joue contre Kiev – et contre ses soutiens.

La chute de Tchassiv Iar marque un tournant opératif dans la guerre du Donbass. Si la dynamique actuelle se poursuit, l’Ukraine risque de perdre non seulement du terrain, mais aussi sa capacité à structurer une défense cohérente à l’Est. L’Occident, quant à lui, est confronté à un dilemme stratégique important : persister dans une logique d’attrition par procuration, ou repenser en profondeur sa posture face à une guerre qu’il a contribué à provoquer, en refusant de faire réellement respecter les accords de Minsk, pourtant conçus pour éviter l’escalade. L’échec diplomatique initial pèse aujourd’hui lourdement sur le champ de bataille.

L’ART OPÉRATIF OU LA GUERRE QUE L’OCCIDENT NE COMPREND PAS
L’art opératif russe, tel que l’a théorisé Alexandre Svetchine et que nous avons exploré dans L’Art opératif russe de Lopez et Benoit Bihan, s’inscrit dans une tradition militaire soviétique profondément ancrée dans la victoire contre le nazisme. Il combine manœuvres profondes, pression latérale et guerre d’attrition pour désarticuler méthodiquement l’ennemi. Svetchine, dans ses écrits, et les auteurs contemporains l’ayant suivi, expliquent que l’opération militaire ne se limite pas à un affrontement direct, mais repose sur une saturation progressive du champ de bataille, une lente désorganisation de l’adversaire jusqu’à ce que des failles irréversibles apparaissent. Ce savoir-faire, hérité de Joukov et des académies de l’Armée rouge, se nourrit d’une logistique implacable et de patience.

Pourtant, les élites occidentales, et certains experts, souvent en décalage avec cette réalité, ont multiplié les erreurs d’analyse : mépris de la culture militaire russe, sous-estimation de la stratégie, et croyance erronée en une défaite rapide de Moscou. Dans les médias, les « experts » de plateaux, souvent incompétents ou partisans, ont nourri la propagande plutôt que d’éclairer le public. Leurs certitudes masquent la tragique vérité : l’Ukraine est devenue le champ sacrificiel d’une stratégie qui repose sur le principe du « jusqu’au dernier Ukrainien ».

LIBERTÉ ACTUS ÉCRIVAIT EN 2024 :

Dès 2024, nous alertions sur la nature réelle du conflit en Ukraine, à rebours des discours dominants. Dans un article intitulé « Tchassiv Iar et Ocheretyne, clé du Donbass », nous avions analysé la progression méthodique des forces russes dans le Donbass, soulignant l’importance stratégique de ces points hauts pour une manœuvre d’encerclement. Contrairement aux experts de plateaux, souvent enfermés dans une lecture idéologique ou émotionnelle, Liberté Actus décrivait déjà une guerre d’attrition, industrielle, inscrite dans le temps long. Tout plaidait déjà pour une approche diplomatique raisonnée, estimant que la poursuite du conflit ne mènerait qu’à un enlisement sanglant, avec un risque d’implication directe pour les puissances occidentales.

Notes :
[1] Manœuvre en pince : Tactique militaire consistant à attaquer simultanément les flancs d’une position ennemie pour l’encercler.

[2] Rupture opérative : Moment où la cohérence défensive d’un dispositif militaire s’effondre, ouvrant la voie à une percée stratégique.

Voir en ligne : article publié sur liberté actus

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